Robert SURCOUF

Le " Roi des Corsaires "

  • Il se dit durant la prise du Kent :

Officier du Kent : "Nous, anglais, nous nous battons pour l'honneur, et vous les français , vous vous battez pour l'argent !"

Surcouf : "Chacun se bat pour ce qui lui manque."

Robert Surcouf

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Statue de Surcouf à Saint-Malo par Alfred Caravaniez (fin XIXe siècle).
Statue de Surcouf à Saint-Malo par Alfred Caravaniez (fin XIXe siècle).

Robert Surcouf (décembre 1773 à Saint-Malo - 8 juillet 1827) est un corsaire français. Marin intrépide, il harcela les marines marchandes et militaires anglaises, non seulement dans les mers de l'Europe, mais aussi dans celles de l'Inde. Il acquit de fait réputation et fortune en faisant la course.

Sommaire

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Jeunesse [modifier]

Né dans le petit village de Bénic, près de Saint-Malo. Il est le fils de Charles-Ange Surcouf, sieur de Boisgris et Rose-Julienne Truchot. Il est notamment le descendant de Duguay-Trouin par sa mère. Ses parents, commerçants, le destinaient à la prêtrise, mais il s'engage dès 15 ans comme volontaire sur l'Aurore en partance vers les Indes. À vingt ans, il est déjà capitaine de « La Créole » qui fait le trafic d'esclaves.

Un corsaire au service de la France [modifier]

Nommé capitaine à l'âge de vingt ans, il commanda successivement les corsaires [1] la Clarisse, la Confiance et le Revenant. [2]

Surcouf naviguait encore dans la marine marchande, lorsqu'il se fit aimer d'une jeune personne dont il voulut obtenir la main.[3]

Surcouf alla tenter la fortune en Inde en 1796. Un mauvais petit bâtiment le porta jusqu'à l'Île de France. La course enrichissait dans ces parages ceux qui s'y livraient avec résolution. Surcouf le fit.

Quelques jeunes gens de l'île de France armèrent un petit corsaire pour Surcouf, qui fit voile pour les côtes de l'Inde, avec un équipage de Lascars (marins indiens)[4]. A l'embouchure du Bengale, où il se dirigea d'abord, il rencontra un petit convoi escorté par un bateau pilote, armé en guerre ; il aborda le pilote-boat et le prit ; il s'empara ensuite des bâtiments marchands anglais, se débarrassa de ses prises, de son propre navire, et passa sur le schooner avec dix-neuf hommes seulement.

Robert Surcouf, le plus célèbre des armateurs malouins, entre dans la légende à vingt-trois ans, en 1796 quand, avec un équipage de dix-neuf hommes, il prend à l'abordage un grand vaisseau britannique, trois fois plus important et plus armé que le sien.

La Confiance (18 canons et 190 hommes) prend le Kent (40 canons et 437 hommes). Par Ambroise-Louis Garneray, alors sous les ordres de Surcouf.
La Confiance (18 canons et 190 hommes) prend le Kent (40 canons et 437 hommes). Par Ambroise-Louis Garneray, alors sous les ordres de Surcouf.

Ce premier succès enhardit Surcouf, qui va tenir la mer, courant après tous les bâtiments qu'il apercevra, en corsaire non autorisé, car il est parti de l'île de France sans ces lettres-patentes, qu'on appelle lettres de marque, qui donnaient au vol sur mer une légalité officielle.

Peu après, avec son bateau, n'ayant que deux canons, Robert Surcouf aperçoit un gros trois-mâts ; il met le cap dessus : c'était un vaisseau de la compagnie des Indes, monté par 150 Européens et armé de 26 canons de 12 ; il se nommait le Triton. Il dut ce succès à une ruse de guerre, car ses hommes, cachés à son bord lorsqu'il accosta le Britannique, ne parurent que pour sauter sur le vaisseau ennemi. L'abordage fut terrible, mais Surcouf triompha, et il mena sa prise à l'Ile-de-France, après avoir renvoyé ses prisonniers à Madras sur son petit schooner. Il leur avait fait signer un cartel d'échange. [5]

Il remet à la mer le plus tôt qu'il peut, pour profiter de la chance qui paraît lui sourire, et cette fois c'est avec un corsaire un peu plus grand qu'il va en croisière.

Chassé par trois vaisseaux de la Compagnie [6], il parvient au moyen d'une manœuvre habile à les isoler ; puis, les attaquant séparément, il en enlève deux, et contraint le troisième à prendre la fuite.[7]

En 1799 la frégate la Preneuse, commandée par l'intrépide Lhermite, venait de se perdre à l'île de France. L'équipage attendait une occasion de retour ou d'embarquement. Le bruit se répand que la Confiance va faire la course. [8]

Deux mois s'étaient passés ; six bâtiments avaient été pris et dirigés sur la colonie [9]

La fortune de Surcouf commençait à grandir. Après plusieurs courses aventureuses, Robert Surcouf fut sur le point d'être dépouillé du fruit de ses dangers parce qu'il avait écumé la mer sans lettres de marque. Il avait armé en course sans autorisation à sa première croisière ; aussi quand il avait attéri avec le Triton, on avait confisqué sa prise.

Cependant les autorités de l'ile de France consultèrent le Directoire qui, voulant récompenser la bravoure du jeune corsaire, proposa au Corps législatif de lui décerner, à titre de don national, la valeur de ses prises qu'on avait vendues au profit de la colonie ; il reçut 700.000 francs.

Ses dernières années [modifier]

En 1801, il se retire à Saint-Malo, se marie et profite de sa fortune. [10] Surcouf, riche et considéré, ne resta pas longtemps oisif. [11]

Surcouf est considéré comme l'un des meilleurs marins que la France ait jamais eus. Redoutable, intenable sur tous les bords, c'est grâce à lui que de nombreux vaisseaux britanniques furent détournés en faveur de la Monarchie, de la République, du Directoire, du Consulat et de l'Empire. Il réussit en seulement cinq années à attaquer une cinquantaine de navires britanniques et portugais alors alliés.

Par la suite, d'autres corsaires prendront la mer sous son service. Robert Surcouf est célèbre pour ses activités de corsaire (dont le fait d'armes que constitua la prise du Kent, le 7 octobre 1800 dans le Golfe du Bengale) et pour sa conception de la guerre sur mer contre la Grande-Bretagne[12], plus orientée vers la guerre d'usure que l'affrontement d'escadres. Pour lui, il est plus efficace de saper l'économie de l'adversaire que de détruire ses navires armés. Il finança lui-même l'armement de nombreux navires de guerre légers : l'Auguste, la Dorade, la Biscayenne, l'Edouard, l'Espadon, le Ville-de-Caen, l'Adolphe et le Renard.

Le nom de l'intrépide corsaire était devenu la terreur du commerce anglais dans les parages de l'Inde, et le gouvernement anglais avait cru devoir renforcer de plusieurs frégates sa station dans ces mers ; mais en 1813, Surcouf fut chargé de conduire en France le Charles, vieille frégate, qu'il avait achetée au gouvernement et armée en flûte. Elle portait un très-riche chargement. Il échappa par son sang-froid et l'habileté de ses manœuvres aux croisières anglaises et manqua de se perdre en entrant à Saint-Malo ; mais son frère, excellent marin et son second, sauva le navire.

Le frère du capitaine Surcouf, Nicolas Surcouf, intrépide marin comme lui, fut son second pendant près de quinze ans, et contribua à ses succès.

Sa flotte prit La Havane, seule fois où cette ville tomba.

Napoléon se déplacera en personne en 1803 pour le convaincre d'accepter une commission de capitaine (de vaisseau) et le commandement d'une escadre, que Surcouf refusera. Plaidant pour l'attaque des lignes de communication, peut-être a-t-il a contrario su convaincre son interlocuteur, puisque deux ans plus tard Napoléon instaurera un blocus économique contre la Grande-Bretagne.

Surcouf consacra la dernière partie de sa vie à des spéculations commerciales, qui furent pour lui une nouvelle source de richesses. On croit qu'il laissa en mourant plus de 3 millions de fortune.

Surcouf mourut d'un cancer le 8 juillet 1827 dans une maison de campagne qu'il possédait près de Saint-Servan, et fut inhumé à Saint-Malo.

Il est également considéré comme l'inventeur d'une ruse de nuit (que l'on peut retrouver dans les aventures de Barbe-Rouge en bande dessinée ou dans le film Master and Commander) qui consiste à faire un petit radeau où on accroche des lanternes de manière à faire croire à ses poursuivants que le navire se situe à un autre endroit.

Citation [modifier]

  • Il se dit durant la prise du Kent :

Officier du Kent : "Nous, anglais, nous nous battons pour l'honneur, et vous les français , vous vous battez pour l'argent !"

Surcouf : "Chacun se bat pour ce qui lui manque."

Notes et références [modifier]

  1. Pendant les dernières guerres maritimes entre la France et la Grande-Bretagne, des nuées de corsaires sortis des ports de la Manche et de l'Océan, porteurs de lettres de marque, firent un tort considérable au commerce britannique qu'ils désolaient. Ces bâtiments légers, presque tous fins voiliers et montés par des hommes intrépides qui se jouaient de la tempête et des combats, profitaient des temps de brume pour sortir des petites criques qui leur servaient de refuge, et, tombant à l'improviste sur les navires marchands, ils les enlevaient à l'abordage.
  2. Surcouf était loin de ressembler à la plupart des chefs de corsaires, valeureux, mais brutaux et pillards, dissipant dans les orgies tumultueuses ce qu'ils ont enlevé à coups de hache et de poignard. C'était un homme d'une force remarquable, quoiqu'il fût très-gros et qu'il n'eût qu'une taille ordinaire. Sa figure était vivement colorée, et ce n'était pas la débauche qui la rougissait, car il était très-sobre. Son caractère était doux, il avait même des goûts paisibles : aussi n'était-il pas corsaire par tempérament ; il n'éprouvait pas ce besoin du désordre, du pillage, de la violence, du sang, qui a mis en saillie dans les fastes de la navigation tant de beaux courages si mal appliqués.
  3. Il alla la demander à son père, homme fort riche, qui refusa net le jeune prétendant, et pour le décourager plus complètement, il lui dit sur le ton de la plaisanterie : Eh bien ! Surcouf, reviens me voir quand tu seras devenu bien riche, et peut-être alors nous ferons affaire.
  4. Surcouf est le seul capitaine européen qui ait osé naviguer avec des équipages entièrement composés de Lascars, hommes aussi dangereux pour ceux qui les emploient que pour ceux contre qui on les emploie. Son sang-froid, son énergie imposèrent aux Malais et les dévouèrent à sa personne.
  5. Comment prêter le flanc à un si fort ennemi ? le pilote-boat avait deux canons seulement ! Surcouf fait cacher tout son monde ; l'idée lui était venue de se faire passer un instant pour un des pilotes du Gange. « Je cours sur ce gros Anglais, dit-il à ses gens, je l'accoste : à un signal que je vous ferai, vous reparaîtrez sur le pont ; nous ferons une décharge de mousqueterie pour effrayer l'équipage, nous sauterons à bord et nous prendrons le bâtiment. » Les choses se passèrent comme il l'avait dit. Le combat qui s'engage sur le pont du Triton est terrible ; le capitaine anglais et dix de ses hommes sont tués, cinquante autres sont blessés, et Surcouf reste maître du vaisseau, n'ayant eu que deux blessés et un mort parmi les siens. Il fait signer un cartel d'échange à ses prisonniers, les envoie à Madras sur son petit schooner qu'il dépouille de toutes ses armes et mène son importante capture à l'île de France.
  6. Ces vaisseaux sont gros, bien armés, et un d'eux porte 200 hommes de troupes passagères
  7. En montant à l'abordage du premier de ces navires, Surcouf vit un jeune midshipman poursuivi par un matelot malais qui cherchait à le poignarder. Vainement prit-il le jeune homme sous sa protection ; le Malais frappa sa victime d'un coup mortel. Le capitaine, irrité de la cruauté du matelot, lui brûla sur-le-champ la cervelle.
  8. C'était une corvette portant 26 canons de six, commandée par Surcouf. L'équipage fut bientôt formé des hommes de la Preneuse et d'un bon nombre de frères-la-côte, matelots de toutes les provenances, gens à toute épreuve et loups de mer s'il en fut. Enfin Surcouf embarqua quelqnes mulâtres libres de l'île Bourbon, chasseurs renommés, qui placent une balle dans la tête d'un lièvre à deux cents pas.
  9. La course touchait à son terme lorsqu'un matin la vigie cria : Navire ! Laisse arriver, crie Surcouf, le cap dessus ! tout le monde sur le pont ! — Cet ordre est le signal d'un tumulte effrayant. Surcouf et ses officiers, Vieillard, Fournier, Puch, sont sur les barres de perroquet, cherchant à percer le voile des vapeurs du matin. Tout le monde est d'accord sur ce point : c'est un vaisseau de guerre ou un vaisseau de la compagnie des Indes. A dix heures la batterie du navire est distincte, deux ceintures de fer y déploient 56 canons. On n'en est qu'à deux lieues. Une apparence de sécurité contrastait à bord avec cet extérieur guerrier. On apercevait un certain nombre de dames à bord. Hissez le pavillon, dit Surcouf, et assurez-le d'un coup de canon. Le coup part, le navire étranger ne répond pas. Un second coup, dit Surcouf, et pointez par son travers. Cet ordre est suivi à la lettre ; pas de réponse encore. Feu partout ! s'écrie le corsaire, dont la colère croissait comme le carré du mépris que lui témoignait son adversaire. La volée partit tout entière, et lorsque le vent eut dissipé la fumée, on aperçut enfin la couleur anglaise, que vinrent bientôt assurer deux bordées à boulet. Amis, dit Surcouf, vous voyez ce beau navire. Il est sans doute chargé d'une riche cargaison ; mais il est beaucoup plus fort que nous. Tout nous prouve qu'il porte au moins du 22 en batterie et du 9 sur son pont. Nous ne sommes pas 100, et nos 25 canons de six ne sauraient lutter contre ses 56 pièces. Il ne faut donc pas songer à la canonnade, il nous coulerait ; mais il nous reste l'abordage. Je vous accorde le pillage pendant deux heures, pour ce qui n'est pas de la cargaison. En un clin d'œil les ordres sont exécutés. Un poignard, une paire de pistolets à deux coups garnissent chaque ceinture, la hache est dans toutes les mains. Les chasseurs de Bourbon se placent dans la chaloupe, pour y ajuster, comme derrière une redoute, les uniformes anglais. On était à demi-portée de fusil. Le Kent se balançait majestueusement sur toutes ses voiles. Les flancs des deux navires se froissent, et une bordée du Kent fait bondir sur les flots son faible adversaire. La Confiance n'y répond pas ; mais du porte-voix de Surcouf vient de sortir un cri : Saute à l'abordage tout le monde ! Surcouf s'est élancé, tous le suivent. Une affreuse mêlée s'engage au pied du mât de misaine. En cinq minutes, les corsaires furent maîtres du gaillard d'avant, mais ce n'était là que le tiers du champ de bataille ; et la foule des Anglais, condensée dans un moindre espace, en devenait plus impénétrable. Leur vieux capitaine, homme de cœur et de résolution, rassemblait ses formidables ressources pour écraser d'un seul coup les vainqueurs imprévus. Mais à son bord était maintenant Surcouf que la mort seule pouvait en faire sortir. Par l'ordre de l'intrépide corsaire, deux pièces de l'avant du Kent sont braquées sur l'arrière ; on les charge jusqu'à la gueule. Les Anglais, rangés derrière le fronton de la dunette, abattent par une fusillade soutenue les plus intrépides matelots de la Confiance. Les rangs s'éclaircissent, les blessés, les mourants jettent le désordre dans l'attaque. Tout à coup une décharge à mitraille, partie de l'avant, creuse la masse anglaise, et l'on s'élance jusqu'au grand mât. A l'instant même, une grenade éclate à l'arrière, et met une vingtaine d'Anglais hors de combat. Leur capitaine fut atteint le premier. Un dernier coup de canon part de l'avant, par l'ordre de Surcouf, un ouragan de mitraille sillonne ce champ de bataille de quelques toises, la dunette vole en éclats. Il se forme des barricades de cadavres, escaladées bientôt, et bientôt grossies de ceux qui escaladent. C'est une lutte de tigres avec les armes de l'homme. Devant Surcouf s'ouvre un large cercle dont le rayon grandit à chaque chute de son bras nu. Les Anglais se précipitent dans les panneaux, dans les porte-haubans, sur les mâts, dans les canots. « Il est à nous, dit le corsaire en brandissant sa hache sanglante, ne tuez plus que ceux qui résistent. » — On dégage les grapins qui enlacèrent la Confiance à ce colosse de 1500 tonneaux. Une vingtaine de grenades sont lancées dans la batterie pour y faire taire les Anglais ; le navire est décidément pris. Surcouf fit respecter les dames, toutes réfugiées dans la chambre du capitaine. Il y avait 250 prisonniers. La Confiance fut expédiée en chasse d'un Danois qui avait assisté au spectacle, et on les mit à bord. — Quelques jours après on entendit crier : terre ! et c'était l'île de France.
  10. Il revint alors en France, et M. B… le trouvant assez riche, il épousa celle pour l'amour de laquelle il avait pris une carrière aussi aventureuse. Il pouvait vivre heureux à Saint-Malo ; mais un marin ne renonce pas si aisément à la mer. Surcouf, armateur et capitaine, fit de nouvelles campagnes, heureuses comme les précédentes.
  11. Il avait goûté de la mer, comme disent les marins, et la terre semblait fade et monotone. Ses tempêtes, ses courses, ses combats, lui manquaient ; il partit de nouveau.
  12. Après la paix avec la Grande-Bretagne et alors qu'il participait a un dîner en présence de ses anciens ennemis britanniques, l'un d'eux lui dit : « Enfin, Monsieur, avouez que vous, Français, vous battiez pour l'argent tandis que nous, Anglais, nous battions pour l'honneur… » Surcouf lui répondit d'un ton calme : « Certes, Monsieur, mais chacun se bat pour acquérir ce qu'il n'a pas. » Surcouf, pour être valeureux marin, n'en était pas moins valeureux orateur.

 


 

 

Corsaires, ces pirates du roi
On les confond souvent avec les pirates. A tort. Des guerres de la Révolution à celles de l’Empire, les corsaires ont parcouru, avec la bénédiction du roi, les océans à la poursuite des vaisseaux et des cargaisons battant sous pavillon étranger. Donc ennemi. Si l’océan Indien n’a pas été épargné, on recense pourtant très peu de corsaires réunionnais. En septembre 1999, une quarantaine de descendants de capitaines corsaires, membres de l’association malouine A.D.C.C., ont fait une courte escale sur l’île avant de rejoindre Port-Louis (la cité malouine va d’ailleurs y être jumelée) pour le trincentenaire de la naissance de Mahé de la Bourdonnais. Histoire de se replonger dans... l’Histoire.

[7 février 2002 - 00h00]


On a tous les mêmes souvenirs. Ceux d’histoires de pirates assoiffés, toujours en quête d’hypothétiques trésors, que l’on nous racontait le soir, juste avant de s’endormir et de rêver. Un bandeau sur l’il et une jambe en bois (les clichés ont la vie dure !), le pirate parcourait les mers du globe dès la fin du XVIIIe siècle. Mais il n’était pas le seul. Loin de là. Les noms du Malouin Surcouf, du Nantais Ripaud de Montaudevert ou du Réunionnais Pierre Bouvet ne vous disent rien ? Ils ont pourtant marqué de manière profonde l’histoire maritime de la zone. Tous trois étaient corsaires. Eh oui. Tout homme disposant d’une "lettre de marque" (elle autorisait à armer en course) pouvait donc, s’il le désirait, s’embarquer pour un temps ou pour la vie sur les mers et devenir corsaire, c’est -à-dire, comme le dit le dictionnaire, "être habilité par son gouvernement à capturer des bâtiments de commerce ennemi". Par "bâtiment de commerce ennemi", entendez vaisseau portant haut les couleurs de la perfide Albion ! Of course. Une fois sur l’eau, les corsaires n’appliquaient qu’une loi, celle du plus fort. La technique de course est simple, mais vitale : "Frapper vite et fort, et s’échapper avant l’arrivée des forces trop supérieures". La vocation première était de chasser l’ennemi et d’apporter ainsi un soutien à la Marine nationale. On oublie souvent que les corsaires exercaient des activités du même type que forbans et flibustiers mais avec la bénédiction du roi ou de l’empereur. Imaginez ces navires équipés de dizaines de canons "s’affronter" au large des côtes. Pour l’honneur d’un drapeau, d’un roi ou d’une dynastie. De quoi réveiller la "fibre patriotique" et l’appât du gain de nombreux marins venus de Bretagne, mais aussi de négociants ou de commerçants français bien décidés à profiter de cette manne juteuse. Car le corsaire ne rentrait que rarement bredouille. Le corsaire et son équipage se devaient, en effet, de déclarer la totalité des prises. Mais la morale se cache parfois dans des endroits obscurs et des règlements un peu particuliers. Le produit de la vente des prises était réparti de façon très bien étudiée. "Charité bien ordonnée commence par soi-même", dit le dicton, la première part revenait donc à l’Etat. La deuxième, elle, alimentait d’office la caisse des invalides de la Marine. L’équipage et les actionnaires, eux, se partageaient la troisième et dernière part. Et là, tout est fonction de rang. Si le capitaine a droit à douze parts de la prise, le matelot s’en sort avec une part, et le mousse, une demie.

AVENTURIERS DES MERS Si l’île de France (l’actuelle Maurice) fut considérée comme un véritable "nid de corsaires", (elle est en réalité la seconde base corsaire française derrière Saint-Malo) celle que l’on appelait encore Bourbon, n’ a joué qu’un rôle secondaire dans ces guerres de course. Et pour cause. L’île, à la différence de sa voisine, ne possède pas encore de port. Elle assura donc le ravitaillement des bateaux tout en jouant un rôle de fournisseur de souscripteurs et de volontaires. De vrais aventuriers des mers, en somme. Souvent malgré eux. A l’instar de ces "enfants trouvés" ou encore de ces victimes d’extorsion de signature, enrolés de force sur les pontons. Fantassins ou tireurs d’élite, ils avaient pour rôle de monter des embuscades et étaient toujours aux premières lignes au moment de l’abordage. La Réunion n’était donc qu’une escale. Et encore. Tout était fonction des relations entretenues entre l’île et sa voisine, Maurice, et aussi du climat politique. Ainsi, en 1799, Bourbon interdit purement et simplement toute entrée dans sa rade de vaisseaux venus de l’île de France. Le corsaire Surcouf, qui en dépend, a voulu passer outre cette interdiction et venir se ravitailler tout en procédant à de nouvelles recrues. Mal lui en a pris. Accueilli par les coups de canon, il croisera pendant plusieurs jours au large de Saint-Denis. Pour finalement faire demi-tour ! Il faut dire que les relations entretenues entre les corsaires et les Réunionnais n’ont pas toujours été au beau fixe. Et pour cause. L’île est un véritable grenier et certains ont voulu en profiter. Mettant à mal l’économie locale et le comportement général. Souvent proche de la zizanie. Mais les guerres de l’Empire verront diminuer de beaucoup les activités corsaires. La fin d’une époque en somme. Et les corsaires réunionnais ? Les doigts d’une main suffisent pour les nommer. Mais si certains historiens prolixes vont jusqu’à en citer une bonne douzaine, en réalité, ils sont deux ou trois. Commençons par Vergoz. On dispose de peu d’éléments à son sujet. Seule certitude, ce Bourbonnais a commandé "Le Républicain", un vaisseau de l’île de France ! Deux autres personnages auront marqué l’histoire maritime des Mascareignes. Le Bénédictin Pierre Bouvet et Ripaud de Montaudevert, natif de Saffré en Loire inférieure. Le premier sera corsaire, marin de l’Empereur et marin du Roi. Né en 1775, il commencera sa carrière comme aspirant sur "L’Aréthuse", avant de rejoindre Saint-Malo. Fait prisonnier à plusieurs reprises, ce Réunionnais finira sa carrière avec les honneurs. Tantôt corsaire, tantôt commandant au sein de la division de Linois. Pour certains érudits, il est même l’égal de Surcouf ! C’est lui, en effet, qui avec une simple embarcation et 40 marins s’empara de "La Marguerite", un brick de 270 tonneaux et armé de 10 canons battant pavillon anglais, qu’il ramena en baie de Saint-Paul. Et puis il y a Ripaud de Montaudevert et son vaisseau "Volcan de Mascarin". Originaire du pays nantais, il est venu s’installer à Bourbon, où il épousa la fille d’un de ses compagnons de guerre aux Indes. Installé confortablement à Saint-André, il mène une vie agréable. Mais l’appel de la mer fut décidément trop fort. Il se lance donc dans la guerre de course pendant plusieurs années. Avant de passer la majeure partie de sa vie réunionnaise au commerce négrier. Drôle de destin. La Réunion n’a pas joué un rôle prépondérant dans l’aventure des corsaires. Qu’importe. Elle aussi a eu ses seigneurs des mers, aïeuls lointains dont les noms de familles d’aujourd’hui portent encore toute l’histoire. Qui étaient-ils ? Les pirates bien sûr !


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"Nous sommes tous descendants de forbans" Les membres de l’Association (internationale) des descendants des capitaines sont des passionnés (plutôt sérieux) d’histoire, de mer et de généalogie. Rencontre. Menteurs en quête d’illustres ancêtres ou "snobinards" en mal de reconnaissance s’abstenir ! "Nous ne sommes pas seulement des passéistes. On essaye aussi de mériter nos ascendants". Voilà, c’est dit. Pour Hervé de La Chouée de La Mettrie, le passé, aussi illustre soit-il, c’est plutôt sérieux. Pour la troisième année consécutive, ce Malouin de naissance est président de l’ADCC. Une association née en 1964, près des remparts de Saint-Malo. "C’est une organisation internationale", se plaît à répéter son président, descendant de pas moins de six capitaines corsaires. Aujourd’hui, pas moins de 560 descendants "avérés et confirmés" en font partie. Souvent férus d’histoire et de protection du patrimoine, rarement simples généalogistes. Parmi eux, Philippe Lenoir, libraire à l’île Maurice. Lui, a découvert qu’il avait pour ascendant le capitaine Drieu. Un marin qui, en son temps, commanda l’abordage du Kent, navire anglais de 38 canons. "Il a ramené le bateau à Port-Louis après sa capture. Il a également servi sur La Confiance, commandée par Robert Surcouf", raconte l’érudit, par ailleurs président de l’amicale Maurice-France. De quoi vous donner envie de plonger dans vos archives poussiéreuses. Qui sait ? N’est pas descendant de capitaine corsaire qui veut... "Cette année, nous voulons développer le caractère international", poursuit le président de l’ADCC. "On se rapproche des Américains. Nous avons aussi des Belges, des Hollandais, des Canadiens et même un Anglais". Preuve que les guerres de courses ne sont plus qu’un lointain souvenir ! Régulièrement, tous se retrouvent pour parler histoire, évoquer leurs dernières trouvailles dans les archives, promouvoir l’archéologie sous-marine ou encore accorder une bourse de troisième cycle à un étudiant féru d’histoire maritime et malouine. Mais attention, n’est pas descendant de capitaine corsaire qui veut. A l’ADCC, on ne badine pas avec ses origines ! La "commission des preuves" veille, histoire de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. Les textes de l’association sont d’ailleurs clairs à ce sujet, un peu calqués sur ceux de la Société de Cincinnati, qui depuis 1783, regroupe les officiers anciens combattants de la guerre d’indépendance américaine, leurs descendants et spécialement les officiers français. Une manière de maintenir à jamais des liens étroits avec la France sans laquelle la victoire contre la Grande-Bretagne eût été impossible. Pour faire partie de l’ADCC, tout postulant, "qui peut se présenter spontanément", doit pouvoir fournir "une photocopie d’une lettre de marque ou un relevé matriculaire prouvant les états de service ou encore un compte rendu de liquidation de campagne". Bien entendu, ces pièces doivent provenir "des archives personnelles, des Archives de l’Amirauté ou encore de celles de l’Armée". Ajoutez à cela une pile d’actes d’état civil et quelques actes notariés et vous pourrez peut-être prétendre à une ascendance un peu particulière. Quoique. "Vous savez, grâce aux Archives de la Marine, on connaît tous les noms des capitaines corsaires. Tout est vérifié. On analyse tous les documents et les candidatures douteuses (l’association en recense plusieurs chaque année !) sont écartées. "On a déjà eu en main des preuves fausses", s’exclame Hervé de la Mettrie, actuellement aux prises avec un candidat qu’il estime un peu malhonnête. Ou farfelu. "Il se réclame de la lignée d’un capitaine (Duguay Trouin, en l’occurrence). Or ce dernier n’a pas de descendant direct !" De quoi, en effet, laisser perplexes Surcouf et tous les autres. Pour plus de sécurité, l’association s’est aussi entourée d’une "commission historique indépendante", qui, composée de non-descendants mais d’historiens, intervient régulièrement pour préciser les données macro-historiques. A la Réunion aussi, on peut s’enorgueillir de présenter un "pedigree" peu banal. Mais sur l’île, on ne naît pas arrière-arrière-arrière-arrière petit-fils d’un corsaire. A moins de s’appeler Ripaud de Montaudevert. Ici, on porte plutôt le nom d’un forban, bref d’un pirate. Ah, les hasards de l’Histoire ! Hélène Thasard, présidente du cercle généalogique de Bourbon, le dit sans détour : "A la Réunion, nous sommes tous descendants des forbans et des flibustiers !" Alain Vautier, directeur de la Bibliothèque départementale (il interviendra d’ailleurs auprès des membres de la délégation pour leur présenter le passé de la Réunion), confirme. Et pas besoin d’être un érudit pour le savoir. "Il suffit d’ouvrir le Dictionnaire généalogique des familles de l’île Bourbon", confirme Hélène Thasard. Pas vraiment compliqué ! Et pour cause. Les premiers Français à débarquer sur l’île y sont tous répertoriés. Vous vous appelez Dumesgnil, Garnier, Grayle Turpin, Ruelle, Huet, Devaux, Pradeau, ou encore Boucher Ne cherchez plus. Un jour, un de vos aïeuls a posé le pied sur l’île Bourbon. Surement de la même manière que le Charentais Pierre Boisson, "arrivé en 1701 sur un navire forban" ou que le Tourangeau Pierre Folio, "arrivé le 26 mai 1699 sur un brigantin anglais, ci-devant flibustier". Pour Joseph Tipveau, alias Bibique, chercheur de trésor invétéré, c’est une évidence : "Si on suivait la descendance des filles des enfants mâles de ces "forbans amnistiés", on découvrirait d’autres noms de familles créoles qui démontreraient que plus des trois quarts des éléments de la race blanche à la Réunion portent en eux des gènes "piratesques" (Bibique, "Sur la trace des Frères de la côte", Editions Orphie. Encore de quoi nourrir de belles histoires..
Tout sur l’histoire de la piraterie • Dans notre dossier sur les trésors engloutis

• Bourbon, l’île aux forbans

• Portrait de la Buse • Suite du portrait de la Buse





Au pays des pirates et des mystérieux Frères de la côte C’est clair, si les mers ont porté les corsaires, elles n’ont pas manqué de faire une place aux pirates et autres flibustiers, toujours avides d’or et autres richesses. Souvent d’ailleurs, certains se partageaient entre les deux activités, selon les fortunes de mer, les guerres, etc. La Réunion, aussi, a eu "ses" pirates, ses forbans. Mal jugés par le pouvoir royal, qui a mis en place un système étatique fonctionnant par "lettres de marque", les flibustiers vont quitter la mer des Caraïbes pour se fixer dans d’autres lieux, à l’abri de tout contrôle. La piraterie venait de naître dans l’océan Indien. Mais attention, pas n’importe comment. Si beaucoup restaient indépendants, et donc soumis aux aléas, d’autres devenaient Frères de la côte. Une étrange appellation qui cache aussi d’étranges pratiques. Cette confrérie aurait pour origine les Templiers eux-mêmes. Mais attention, n’adhérait pas qui voulait à cette communauté, à ce compagnonnage placé sous la protection du fameux pavillon noir à tête de mort. Symbole bicolore d’une dualité manichéenne si chère aux Templiers. Si l’initiation se faisait à terre, la pratique, elle, ne trouvait son intérêt que sur mer. L’aspirant pirate subissait ainsi un "esclavage", un noviciat pendant souvent plusieurs années. Et pas question de déroger aux règles. Strictement orales. Les Frères de la côte devaient s’amateloter, c’est-à-dire s’associer avec un camarade pour partager les richesses et les avaries (à noter d’ailleurs que c’était le dernier vivant qui s’accaparait toutes les richesses accumulées). Les Frères, "nés des circonstances et de l’ardeur du sang", se devaient aussi de suivre à la lettre la "Charte-partie", contrat établi entre le capitaine et les hommes de son équipage. Au programme, onze articles à caractère social. La troisième (et peut-être la plus intéressante) caractéristique de cette confrérie initiatique, cette habitude prise de cacher les trésors trouvés, grâce à l’écriture cryptographique. Les Frères avaient, en effet, pris l’habitude d’écrire par signes, gravés sur les roches pour marquer leur cache. Ça ne vous rappelle rien ? Mais si. Olivier Levasseur, plus connu sous le nom de La Buse, bien sûr. Au moment de son exécution après une "carrière" plutôt bien remplie (rappelez-vous notamment cette fabuleuse prise de "La Vierge du Cap" en baie dionysienne), un certain 7 juillet 1730, le pirate, venu du Nord de la France, aurait jeté dans la foule un mystérieux bout de papier où les signes s’enchaînent, sans lecture immédiate possible. Une énigme qui fait encore rêver tous les chasseurs de trésors des Mascareignes. Et pour cause ! Le célèbre forban n’a-t-il pas dit, sur le pont qui enjambe la Ravine des Bananiers, "Avec ce que j’ai caché ici, je pourrais acheter l’île entière" ?